Famille d'Adon: Bourgeois - Rameau de St Père (1)
La lente construction du domaine familial
Aucune famille n'a marqué aussi fortement et aussi longtemps l'histoire du village d'Adon. En effet, son aventure patrimoniale débute dans les années 1470 et, bien que sous une forme beaucoup plus restreinte, dure encore aujourd'hui, soit plus de cinq siècles !
De même, l'histoire de la Chapelle Sainte Berthe près d'Adon est indéféctiblement liée à cette famille puisqu'elle en a possédé les terrains pendant tout ce temps.
Le document laissé par Rameau de St Père en 1875 sur cette histoire est particulièrement édifiant. Nous en publions ci dessous de très larges extraits, tant les faits relatés sont intéressants.
Histoire d'une famille de petits propriétaires du Gâtinais depuis le commencement du XVIe siècle jusqu'à nos jours, par M. RAMEAU.
"...à la fin du XVe siècle, vivait à Gien-sur-Loire une famille de tanneurs nommés Bourgeois: D'après les usages connus de l'époque et les transmissions professionnelles, qui étaient de tradition dans les familles, il est probable, vu l'aisance qui paraît avoir régné déjà dans la maison, que les Bourgeois étaient engagés dans les opérations de la tannerie depuis plusieurs générations. Le premier dont les actes de la famille fassent mention, est Jean Bourgeois, dont nous avons deux actes authentiques, l'un en 1470, l'autre en 1478. Son fils, Thibaut Bourgeois, épousa Marie Heurte, qu'il laissa veuve en 1490, avec deux fils, Jean et Thibaut. Déjà, à cette époque (1480), la famille Bourgeois possédait à quatre lieues de Gien, sur la paroisse d'Adon, un petit domaine nommé le Petit-Tallot ; ce domaine pouvait comporter à cette époque 100 arpents, environ 50 hectares. Mais les propriétaires s'employaient avec une persévérance économe et industrieuse à l'agrandir, ainsi que nous allons le voir.
Source: Archives Municipales
Tous les profits de la tannerie étaient évidemment consacrés à cette oeuvre de famille; nous ne pouvons établir, il est vrai, que des suppositions pour les temps qui précédèrent 1480, mais nous voyons alors Thibaut Bourgeois et sa femme, Marie Heurte, s'appliquer à acheter autour de leur ferme toutes les parcelles de terrain qu'ils peuvent trouver à vendre.
De 1487 à 1517, nous possédons neuf actes d'achat faits par eux, et une autorisation pour construire un moulin, donnée par Coligny, alors Seigneur de Châtillon sur Loing.
Le moulin de Tallot en 1904
Le veuvage de Marie Heurte n'arrêta point le cours de cet agrandissement, au contraire, car la plupart des achats que nous connaissons sont postérieurs à son veuvage. Ces acquisitions avaient pour objet des portions de terre assez minimes, car les neuf actes comprennent 12 arpents (6 hectares) et une maison. Marie Heurte mourut dans les environs de 1517.
De ses deux fils, Jean et Thibaut, nous ne connaissons que les noms, soit qu'ils n'aient pu poursuivre les projets d'agrandissement de leurs prédécesseurs, soit que leurs actes aient été perdus. Jean, l'aîné, laissa trois fils, Jacques, Jean et Pierre, et nous n'avons non plus aucun acte de cette génération, qu'il soit important de relater ici ; mais Jacques Bourgeois, l'aîné de ses fils, laissa, en 1579, soixante ans après la mort de Marie Heurte, quatre enfants, tous remarquables pour leur activité et leur esprit d'entreprise, et dont deux surtout vont fixer notre attention :
L'un, Jacques, l'aîné de la famille, et toujours tanneur à Gien ; l'autre, une fille nommée Catherine, qui épousa un habitant de la ville, nommé Chrysostome Bouzy.
Tous les deux se trouvèrent, en 1579, propriétaires par indivis de l'héritage patrimonial. Peut-être ce domaine avait-il été encore agrandi dans l'intervalle. Nous ne pouvons rien affirmer à cet égard quoique tout donne lieu de le présumer; mais l'époque à laquelle nous sommes parvenus, nous apporte de nouveaux et nombreux titres d'acquisition.
Jacques Bourgeois, et surtout Catherine Bouzy, sa soeur, paraissent avoir pris fort à coeur l'oeuvre de famille, qui se poursuivait au Petit-Tallot depuis cent cinquante ans. De 1584 à 1594, ils achetèrent, en six reprises différentes, 18 pièces de terre contenant ensemble 13 arpents (6 hectares et demi).
A cette époque, 1594, Catherine Bouzy, qui était devenue veuve, prit avec son frère Jacques des arrangements qui la laissèrent seule propriétaire du Petit-Tallot, et elle reprit alors, avec une nouvelle activité et persistance, l'entreprise séculaire à laquelle elle prenait le plus vif intérêt; de 1594 à 1622, époque de sa mort, nous avons d'elle vingt actes d'acquisition comprenant, en 20 pièces de terre, 34 arpents ou 17 hectares.
La plupart de ces acquisitions varient, comme les précédentes, d'un quart d'arpent à 2 arpents; une seule s'élève à 12 arpents ou 6 hectares. A sa mort Catherine Bouzy ne laissait qu'un enfant, une fille nommée Catherine, comme elle, qui avait épousé un sieur Malingre de Launay, dont elle n'avait pas encore d'enfant. Tel était chez Catherine Bouzy le sentiment de la famille et du foyer domestique, et le dévouement aux plans traditionnels qui se poursuivaient depuis si longtemps dans la maison, que, prévoyant le cas où sa fille mourrait sans enfants, elle lui commanda de disposer de son bien de manière à ce qu'il rentrât dans la famille Bourgeois, de façon que les Bourgeois ne pussent le vendre qu'à des frères ou à des cousins mâles du nom de leur famille. (Testament de 1650, dernière page.)
Catherine de Launay mourut, en effet, sans enfants, en 1650, en exécutant de point en point les volontés de sa mère, par un testament fort remarquable que nous avons sous les yeux, par lequel elle enjoint à son cousin Jacques Bourgeois et à ses héritiers, de conserver le lieu de Tallot et de continuer l'oeuvre de leurs grands parents.
...Permettez-moi de vous citer ici quelques phrases du testament de Mme de Launay, dont je vous parlais tout à l'heure; vous y saisirez dans le vif quelles étaient les préoccupations et les vues que suivaient ces familles bourgeoises dans ce travail obstiné et séculaire.
« Je donne à mon cousin Jacques Bourgeois le lieu de Tallot et l'Estang de la Pionière, et la maison de Gien, etc., etc...,
« Et tous les meubles qui se trouveront au lieu de Tallot, de quelque qualité qu'ils soient, à la charge et condition qu'il ne vendra point les fonds, ni lui ni ses descendants, et ne coupera point de bois que pour accommoder les bâtiments et les estangs ; il pourra couper du bois mort pour se chauffer ; il pourra vendre les taillis et les aulnes; « Et s'il en dispose autrement, je donne tout pouvoir aux collecteurs de l'église de la paroisse de s'emparer du revenu du bien vendu pour la nourriture des pauvres. »
CODICILLE.
« Je donne tout pouvoir aux enfants de mon cousin Bourgeois de vendre les fonds que j'ai donnés à leur père, de frère à frère et non de beau-frère à beau-frère, ou bien à des cousins qui porteront le nom de Bourgeois, et c'était mon intention de le mettre en l'article ci-devant, et par le commandement de défunte ma mère, qui a enchargée de le faire ainsi.
« J'ai vu et relu mon testament, et veux qu'il soit exécuté en la forme qu'il est écrit de ma main.
Fait le 7 janvier 1649. »
Il n'a été conservé d'ailleurs de Mme de Launay aucun autre acte que son testament, de sorte que nous n'avons aucune donnée précise sur les achats qu'elle à pu faire pour continuer l'agrandissement du domaine; mais nous savons qu'au moment de sa mort, en 1650, il contenait environ 250 arpents (NDLR : 125 ha), de telle façon que, dans l'espace de moins de deux cents ans, et par le travail assidu de six générations, le Petit-Tallot avait plus que doublé d'étendue; on ne peut pas évaluer à moins de cinquante les actes d'achat auxquels cet agrandissement donna lieu, transactions opérées avec plus de trente propriétaires différents...
Source: Archives Départementales du Loiret
...Voici donc le domaine du Petit-Tallot rentré dans la famille Bourgeois, dont il était sorti nominalement, au moins pendant cinquante ans ; celui qui était le légataire de Mme de Launay était son cousin germain, Jacques Bourgeois, le propre fils de cet autre Jacques Bourgeois, le frère de sa mère, qui avait été, avec elle, propriétaire indivis de ce domaine jusqu'au partage qu'ils avaient fait aimablement en 1594.
Mais il ne faudrait pas croire que ce frère de Catherine Bouzy eût abandonné la propriété à sa soeur pour se retirer dans sa tannerie, et s'y cantonner dans une vie casanière. Non ; s'il séparait ses intérêts de ceux de sa soeur, c'est que lui-même commençait, en ce moment, une nouvelle entreprise territoriale, qu'il poursuivit, ainsi que ses enfants, avec l'énergie et l'esprit de suite qui paraissent avoir distingué sa famille. Dans cette opération, nous allons retrouver, quoique sous des formes diverses, les mêmes circonstances, le même esprit, le même travail que nous avons constatés dans les pages qui précèdent.
Dans cette même paroisse d'Adon, à 2 kilomètres environ du Petit-Tallot, se trouvait un quartier ou hameau appelé les Beaugets : ce quartier appartenait depuis de longues années à une famille nommée Beauget, qui lui avait donné son nom; les nombreux descendants de cette famille s'étaient multipliés, et successivement établis les uns à côté des autres, mais sans ordre, sans méthode, par une agglomération confuse, formant une sorte de tribu sur l'héritage patrimonial ( un grand nombre de hameaux en France n'ont point eu d'autre origine). Nous aurons plus loin l'occasion de nous occuper de cette famille avec plus de détails ; qu'il nous suffise de dire ici que, de cette agglomération inordonnée (sic), résulta un état de la propriété peu régulier et indéterminé qui fut très fâcheux pour les malheureux Beauget; soit que les uns restassent dans l'indivision, soit que les autres fissent des partages indiscrets et mal conçus, cette famille, ou plutôt cette tribu, vit sa situation s'empirer de plus en plus, et, au milieu du XVIIe siècle, elle était déplorable.
Le patrimoine, des Beauget avait pour origine, elle est mentionnée dans un des titres, une concession de terre faite à une date qu'il est difficile de déterminer, mais qui probablement remontait à plusieurs siècles avant 1600.
Cette concession fut faite par le Seigneur de la Bussiere à un chef de famille nommé Beauget, moyennant 2 sols de rente et 2 deniers de cens par chaque arpent, avec profit de lods et ventes quand le cas y échoit.
Beauget donna son nom à la nouvelle demeure qu'il créa, ou plutôt, on donna à cette demeure le nom de ses descendants, et comme ils vivaient tous ensemble, groupés dans leur patrimoine, on l'appela le lieu « Des Beaugets », puis « Les Beaugets ».
Cette demeure, foyer central de la famille, était bâtie, selon l'usage de l'époque, en bois et torchis, au milieu d'un vaste espace de 10 à 12 hectares, qui restait vacant et sans culture, et qu'on appelait le pâtis en communauté. Nous l'avons encore vu presque dans son intégrité, ombragé de chênes énormes, dont quelques-uns survivent (NDLR : en 1875), de 4 à 5 mètres de circonférence !
A mesure que les enfants se mariaient, on traçait dans ce pâtis un petit carré enfossoyé (sic) qui devait renfermer la nouvelle demeure de la nouvelle famille, avec un jardin. Il s'accumula ainsi, par le cours des générations, autour du logis principal, une quantité de petites maisons ou même de cabanes ; quant aux terres et prés, tantôt ils restaient dans une sorte d'indivision, tantôt ils se partageaient de la manière la plus désordonnée par parcelles entremêlées. Après cinq ou six générations, le pâtis des Beaugets formait donc une sorte de hameau, dont le logis primitif faisait le centre, et autour duquel se groupaient les maisons, cabanes ou huttes de toute forme d'une véritable tribu qui rappelle les clans de l'Ecosse.
Vers la fin du XVIe siècle, nous trouvons constatées, dans trois actes, vingt-cinq familles du nom de Beauget, existant sur le lieu, sans compter un certain nombre de familles venues du dehors, par alliances. Mais combien ne sont pas mentionnées dans cet acte, combien avaient déjà quitté le territoire patronymique du vieux clan !
Ce fut alors que Jacques Bourgeois conçut l'idée de se former au milieu de cette masse confuse un domaine nouveau; lui, son fils et son petit-fils y travaillèrent assidûment de 1600 à 1700, opérant, de concert en ceci avec leur cousin, Jean Bourgeois, propriétaire dans un autre hameau voisin, et de même nature, nommé les Bellots.
Ici l'entreprise des Bourgeois revêt un caractère particulier : non seulement ils achètent des terres, des parcelles de terre, comme au Petit-Tallot, mais ils opèrent en grand, en achetant des parts d'héritage, des droits de succession, au milieu de cette masse confuse des diverses branches des Beaugets, et c'est en enfonçant ces coins judiciaires dans le bloc informe et inordonné de la communauté, qu'ils achèvent la dislocation de cette malheureuse tribu, victime de ces lois successorales qui livrèrent toujours sans défense les familles les plus débiles, et les moins intelligentes, aux mains des plus adroits et des plus forts. Je ne puis entreprendre ici de vous faire l'histoire de ce petit drame social qui se poursuivit pendant plus d'un demi-siècle.
Je me contenterai de vous exposer qu'à cinq reprises différentes les Bourgeois achetèrent des droits de succession ou des parts d'héritage, ce qui détermina des poursuites, des frais, des ventes, qui peu à peu les rendirent maîtres des biens de plusieurs fractions de cette antique communauté. Nous trouvons en outre dix à douze actes d'achats amiables pour des parcelles déterminées variant en étendue de un à neuf arpents, et il est probable qu'il nous manque un grand nombre d'actes, surtout dans la période de 1600 à 1650.
Jacques Bourgeois, le frère de Catherine Bouzy, celui qui commença l'opération des Beaugets, eut pour fils un autre Jacques, qui continua assidûment l'oeuvre de son père; ce fut à lui que sa cousine Catherine de Launay légua le Petit-Tallot, comme nous l'avons vu, et il laissa ce domaine, ainsi que toutes les acquisitions faites aux Beauget, à ses deux fils Pierre et Jacques en 1664. Ceux-ci achevèrent l'oeuvre de leurs pères; presque tous les membres de la famille Beauget étaient déjà alors dispersés ou avaient quitté le pays ; en 1668, il ne restait plus sur les terres de l'ancien territoire que quelques individus isolés et un vieux chef de famille, Antoine Beauget, dont les affaires étaient dans le plus grand désordre; à sa mort, la succession, fut abandonnée par les enfants, pour éviter les grands frais qu'elle eût entraînés, ainsi qu'ils nous en avertissent.
Poursuivie par les frères Bourgeois, qui étaient créanciers, et peut-être co-intéressés, la succession fut vendue aux enchères et achetée, chose singulière, par un gentilhomme écossais nommé Hepbume, qui demeurait alors en ce pays ; mais l'année suivante, Pierre Bourgeois lui racheta toutes les terres et maisons qui avaient appartenu au malheureux Antoine Beauget. Ces débris de patrimoine de la vieille tribu montaient encore, d'après le recollement de la saisie, à 75 arpents ou 37 ha environ, et je vais vous citer ici textuellement le début :
« Les bâtiments consistent en maison à demeure, où il y a four et cheminée, grenier au-dessus, dont partie des chevrons et couverture sont tombés, une étable à vaches et bergerie, etc., etc.
« La grange, avec une étable y tenante, couverte de tuiles, et une masure couverte de paille en mauvais état.
Et ailleurs : .... « Un quart de la maison où demeurait le défunt dudit lieu, à prendre par la moitié de la poutre, ledit quart à prendre du côté du midi où est la porte d'entrée, et l'acquéreur sera tenu de faire recouvrir ledit quart en roseaux à «la Toussaint prochaine. »
Et ailleurs encore : .... « Est abandonnée la moitié d'une place d'eau où il y a eu autrefois un petit étang, qui est à présent en ruine, ayant encore l'apparence d'une chaussée qui est coupée à l'endroit où était la bonde. »Et ailleurs, partage du 1er avril 1655...... « Et derrière ladite maison une petite grange, entre Jacques Bourgeois et Jean Bourgeois, des Bellots, tombant en ruines, tenant aux héritiers de la veuve Bellot et aux cours et communautés des Beaugets ».
Ces simples lignes peuvent assez faire préjuger dans quel état de décadence, de désordre et de ruine était tombée cette propriété. Le détail de cet acte et la description des objets saisis témoignent aussi de l'intensité et de l'activité du travail opéré dans ce quartier par les Bourgeois, depuis l'an 1600 ; ils avaient si continuellement acheté, à droite et à gauche, par bloc et par parcelles, qu'ils se trouvaient partout entremêlés avec les héritages des Beauget, et il n'est presque aucune pièce de terre mentionnée dans la saisie, qui ne soit contiguë à une autre qu'ils avaient précédemment acquise.
Source: Archives Départementales du Loiret
L'ensemble des achats qu'ils avaient ainsi opérés s'élevait alors, en y comprenant ce dernier effectué en 1668, à environ 300 arpents ou 150 hectares; mais cette étendue ne représente pas la totalité du patrimoine des Beauget; plusieurs habitants du pays qui avaient épousé des filles de la famille, purent conserver les lopins de terre qui leur avaient été attribués. Un d'entre eux même, nommé Guilbert, conserva une petite métairie construite sur les pâtis et communs des Beauget, avec environ une trentaine d'arpents, et ses descendants s'y maintinrent encore plus d'un siècle; mais il était dit que la famille Bourgeois devait entièrement supplanter ces malheureux Beauget; la fille de Pierre Bourgeois, Rémonde, épousa un sieur Vannier, dont la petite fille, Madame Bricon, acheta, en 1812, ce dernier débris de la tribu et communauté des Beauget, qui se dressait encore au milieu des terres de la grande ferme des Beaugets, constituée et organisée par les efforts longs et obstinés de ses aïeux.
Mais, dès 1668, l'oeuvre était en réalité accomplie, et avec les débris de 80 petites propriétés, soit en portions déterminées, comme au Petit-Tallot, soit indivises comme aux Beaugets, les gros marchands de Gien étaient parvenus à fonder deux grandes fermes agglomérées, d'une importance de 120 à 150 hectares chacune, qui existent encore aujourd'hui entre les mains de leurs descendants. (NDLR : en 1875)
...De temps à autre quelque famille vendait sa part et ses droits pour aller s'établir ailleurs; plusieurs fois, même, nous voyons mentionner des maisonnettes abandonnées et en débris. C'est en cet état que les Beaugets furent atteints par la dislocation et par la ruine; et je n'ai pas besoin de vous rappeler les détails qui sont encore présents à votre esprit, pour vous faire comprendre comment la loi et la coutume des partages successoraux influèrent d'une manière puissante et désastreuse sur cette malheureuse destinée. A la suite des dernières expropriations, tous les Beauget quittèrent si parfaitement la contrée, qu'on ne trouve plus ensuite aucune trace de leur nom; ils se dispersèrent, de côté et d'autre, et après avoir consommé le mince produit de leurs parts successorales, ces hommes sont nécessairement devenus la souche de beaucoup de malheureux journaliers qui ont vécu désormais sans traditions, sans foyers, au hasard des circonstances, ayant peut-être même perdu jusqu'à leur nom patronymique sous quelque sobriquet de hasard. Aujourd'hui toutes les maisonnettes ont disparu, les fossés qui clôturaient les petits jardins sont comblés, le souvenir, la trace même de toutes ces familles qui formaient un hameau joyeux sont effacés ; au milieu du Grand Pâtis désert, s'élève solitaire la grande ferme qui a remplacé le manoir rustique du chef des paysans, dont il ne reste plus que l'énorme grange en bois, à travers laquelle les vents d'hiver sifflent depuis des siècles, sans pouvoir la renverser ! ..."
Après le décès de François Rameau de St Père en 1899, suivi de celui de son épouse en 1926, la tradition séculaire s'est finalement interrompue. Le domaine qui fit l'objet d'un inventaire en Juin 1900 pour un total de 526 ha, fut scindé entre leurs trois filles, intégrant les familles Decencière-Ferrandière, Milou et Dubois de la Sablonière.
La plus part des possessions ont depuis été vendues au cours du 20e, seuls les Beaugets, soit environ 122 ha, font encore partie, en ligne indirecte, du patrimoine familial hérité.