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Titre du blog : Adon: une Histoire
Auteur : adon45
Date de création : 07-08-2011
 
posté le 03-02-2012 à 17:16:06

La Hutterie

La Hutterie 

 

 

 

 

 

 

Cette propriété privée  a une origine très ancienne. En effet, dès 1374, on a retrouvé la trace d'un dénommé Blanchard  qui occupait l'une des masures (fermes) de ce site, à l'époque rattachée à Feins, d'où le terme de la Blanchardière qui lui fut alors donnée.

 

La guerre de Cent ans et ses ravages ne nous ont pas laissé de traces de cette période. Mais après la fin « officielle » de la Guerre de Cent Ans (1453), Feins avait perdu un grand nombre de ses occupants, et ce n'est que 4 ans plus tard, en 1457, qu'un curé est de nouveau permanent dans la Paroisse.

 

 

Peinture de Jean Fouquet  

La Garde écossaise entoutant Charles VII

 

Cette petite Seigneurie tout juste démembrée de la propriété de la puissante famille Feins, faute d'héritier, appartient alors à Jehan Despence(1).

 

Celui ci est issu d'une famille écossaise aux branches françaises nombreuses, et a servi le royaume de France pendant la guerre de Cent ans, et notamment sous Charles VII lorsqu'il créa sa « Garde Ecossaise ». Son père Patrick Spens de Wormiston, né vers 1425, dans le Comté de FIFE en Ecosse, en fit le premier partie comme  Ecuyer et Archer. (Il fut également à l'origine des Familles Despence de Pomblin, Despence de Railly, etc.)

 

 

Patrick Despens

 

   
 

 

 

 

 

        

 

 

 

Peinture de Jean Fouquet   

 

Petit à petit, les terres sont allouées en baillage. En 1468, La Foucherie (aux environs de 1370, un certain Foucher habitait les lieux) est baillée à Jean Procqueau, dit Copeau, d'où le nom toujours actuel des « Copeaux ».

 

En 1469, Régnault Huet, laboureur, prend en bail des restes de masures de l'ancienne Blanchardière auxquels il laissera son nom : « la Hueterie » (voir la carte de Cassini ci dessous), devenu bien plus tard  « la Hutterie ».

 

 

Carte de Cassini (1759 environ)

 

 

En 1532, les Despence vendent la Seigneurie de Feins à Louise de Montmorency, veuve de Gaspard 1er de Coligny, pour qui Feins ne sera qu'une dépendance subalterne.

 

Néanmoins, avec des conditions économiques plus favorables, La Hutterie est transformée en manoir, avec 2 corps de logis, auxquels un texte de 1533 ajoute les « jardins nouveaux de l'Amiral », Gaspard II de Coligny (fils de Gaspard 1er et de Louise de Montmorency). (2) 

 

 Il ne fait aucun doute que la grange de la propriété actuelle est l'un de ces manoirs.

 

 

Photo: http://oratoiredulouvre.fr

Gaspard II de Coligny, Oratoire du Louvre, Paris 

Gaspard II de Coligny fit don de La Hutterie à François de Beauvais, Seigneur de Briquemault (à Ste Geneviève des Bois). Briquemault fut en effet un ami très proche de Coligny tout en devenant, sous ses ordres, l'un des plus illustres chefs de l'armée protestante.

 

 

 

Le château de Briquemault

 

 

 

 

En 1562 commencent les guerres de religion, et Briquemault, protestant et chef de guerre, s'y distingue tant par sa bravoure que par sa cruauté. Présent à Paris la nuit du massacre de la St Barthélemy, auquel il échappe miraculeusement, il  est néanmoins arrêté dans la nuit, jugé et exécuté quelques semaines plus tard sur ordre et en présence de Charles IX. Ses biens furent alors confisqués. (3)

 

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                                   

 Photo: http://www.saintegenevievedesbois.fr/ 

 

 

 

Henri III Mais, le 6 Mai 1576, Henri III, ayant succédé à son frère Charles IX, dut reconnaître une défaite humiliante mettant fin à la 5eme guerre de religion par l'Edit de Beaulieu, en concédant de nombreux avantages aux protestants, et notamment la restitution de leurs biens.

 

Jean de Bricquemault, son fils aîné, reprit donc possession de la Hutterie, mais pour la vendre, l'année d'après, en 1577, à Guillaume Hamard, seigneur de Saulse, bourgeois de Gien, pour la somme de 2 500 Livres. Sa famille l'aggloméra avec d'autres possessions qu'elle avait déjà à Feins et à Rogny les sept Ecluses où notamment, ils achètent en 1582 une rente en grains sur le moulin de Saint-Eusoge.(4) 

 

 

 

 

 

 

 

Soit qu'elle changeât de main entre-temps, soit qu'elle fut transmise par mariage, la Hutterie appartenait à Michel Courtois, avocat, fils de l'influent Bailli de Montargis, Ignace Courtois, lorsqu'elle fut de nouveau vendue le 22 Avril 1583. (La famille Courtois, et notamment Guillaume, père d'Ignace, était déjà propriétaire du fief de Mussy, depuis 1507.)

 

L'acquéreur ne fut autre que Jean II du Tillet, baron de la Bussière...en train d'acheter tout ce qu'il pouvait pour agrandir ses terres de La Bussière (la terre de Mussy et celle de Ténins passèrent également dans ses mains à la même époque). (5)

La terre de La Hutterie, tout comme celle de Mussy, d'ailleurs, resta entre les mains des seigneurs de La Bussière jusqu'à la Révolution, où nous perdons la trace de la propriété.

 

Nous la retrouvons 40 ans plus tard, à l'occasion de son achat, en 1835, par Marc Hilaire Colombel. Il est issu d'une longue lignée de navigateurs, capitaines de navires, d'abord installés dans le Pays de Caux, puis au Havre.

 

 

 

Le Port du Havre au début du 19e

L'ascension de la famille Colombel démarra avec le père de Marc Hilaire, Jacques Robert. Celui-ci alla s'installer à Saint Domingue avec son frère en 1783, et créa une société de négoce, pour vendre des pacotilles sur place, et surtout vendre des denrées coloniales en métropole, et notamment du bois.


Après quelques turpitudes dues à la mort prématuré de son frère, Jacques Robert Colombel, s'associe de nouveau, cette fois avec des tiers, pour créer la société « Colombel Ainé, Besongnet, Barabé ». Rentré en France en 1787, après des gains substantiels, sa nouvelle société s'oriente peu à peu dans l'armement de bateaux pour la traite d'esclaves (potentiellement très lucratif, mais aussi très risqué), comme tant d'autres armateurs des grands ports français, anglais, portugais et néerlandais de cette époque.

 

 


Un premier voyage en Juillet 1789 sur « l'Alligator » rapporte plus de 800 000 livres, ce qui est considérable. Un second voyage est organisé en 1791/1792, tout aussi rentable, suivi d'un troisième, qui lui ne rapporte rien. Quelques années plus tard, la société est dissoute, et Jacques Robert Colombel meurt en 1805, laissant cinq enfants à sa veuve, Anne Marie Pinel, dont Marc Hilaire.

 

Un "Brick

En 1820, Anne Marie Pinel fonde la société « Pinel Veuve Colombel Aîné & Fils » dont le but est d'accroire les actifs de la famille, sans pour autant prendre trop de risques. Marc Hilaire fait partie des gestionnaires actifs d'une société qui est dédiée au commerce des produits coloniaux, basée au Havre. La société arme plusieurs navires, comme le brick Elisabeth ou le brick Emilienne qui traversent l'Atlantique en direction des Etats-Unis, faisant escale à La Havane et à La Nouvelle-Orléans, d'où ils ramènent du coton en grande quantité. La société possède d'importants contacts à New-York, où Marc Hilaire Colombel a d'ailleurs séjourné en tant que correspondant de la société de 1819 à 1821.


Les années 1820 à 1830 voient l'apparition de nouveaux espaces commerciaux, dans lesquels les négociants tentent d'investir. Ils se tournent notamment vers l'Amérique latine : le Brésil, le Chili, le Pérou ou la Guyane et Marc Hilaire doit faire l'achat de plusieurs navires supplémentaires en 1824 et 1825 pour assurer ces liaisons.


Marc Hilaire Colombel possédait de nombreux biens immobiliers dans la commune de Graville, voisine du Havre, où il résidait une grande partie de l'année. Le 14 octobre 1830, il devient maire de cette ville. Deux ans plus tard, le 25 juillet 1832, il démissionne, avant d'être réintégré dans ses fonctions le 5 mars 1835. Il reste maire jusqu'à sa mort prématurée en 1838. Peu de temps après, le conseil municipal délibère afin d'attribuer une rue à son nom, qui demeure encore aujourd'hui, la rue Hilaire Colombel.(6)

 

Il avait donc acheté les terres de Mussy et de La Hutterie en 1835, puis celle de Mousseaux, à Montbouy, en 1837. On ignore les raisons de ces achats dans le Loiret, si loin de sa Normandie d'origine. Ils furent peut être motivés par une volonté de diversification de ses avoirs et la préparation d'une rente solide en prévision d'une vieillesse qu'il n'a malheureusement pas connu.

 

Le domaine de Mussy/la Hutterie est donc passé à Cyprien Colombel, son fils, de même que les autres domaines acquis par son père, Mousseaux et Les Tranchants. Agronome éminent doublé d'un chasseur passionné, c'est lui qui a certainement laissé la plus grande marque sur ces grands terrains agricoles et leurs exploitations respectives.
Il participe à l'écriture d'un des livres de son cousin Adolphe Coste : « Une ferme de 100 hectares ». Maire de Montbouy de 1882 à 1888, il décède à Mousseaux, sans enfant, en Février 1894.(7)

 

C'est donc son neveu, Paul Colombel qui hérite des propriétés. Paul Colombel, domicilié à "Montbouy par Châtillon Coligny" fut donc propriétaire de la terre de Mussy et du domaine de la Hutterie, le tout pour 270 ha environ (7) (190 ha sur la commune d'Adon uniquement (8) )


A son décès, en 1923, Mussy et la Hutterie sont passés aux mains de son fils, Léon Colombel, domicilié à Tours puis à Angers. Celui-ci, ayant contracté une dette importante qu'il ne pouvait pas rembourser, a dû se résoudre à vendre les 2 propriétés en 1933.

 

C'est à ce moment que les terres de Mussy et de la Hutterie furent de nouveau séparées.

 

Aujourd'hui, tout ce qui reste de l'époque Renaissance qui vit la première prospérité de La Hutterie, est un bâtiment qui, au cours des siècles, est passé du statut de manoir à celui de grange.

Néanmoins, les deux immenses cheminées sur chaque pignon intérieur et deux fenêtres, aujourd'hui murées, dont les meneaux en pierre sont très visibles, attestent que ce bâtiment est un exemplaire unique de la Renaissance encore debout sur le territoire de la commune d'Adon.                                                                                                                                                              

 

 

 

 

(1) Généalogie de la famille Spens http://www.spens.info/genealogie.php?PHPSESSID=3a28726e07e9fb4f8ad1e47f525ea057
(2) Paul Gache Mars 1993
(3) La France protestante ou vies des protestants français qui se sont fait un nom dans l'histoire: Basnage - Brodeau, Volume 2 Auteurs Eugene Haag, & Emile Haag Éditeur Cherbuliez, 1847 Original provenant de la bibliothèque de l'État de Bavière Numérisé par Google Books
(4) Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne ; Source : Gallica (Titres de Saint-Eusoge et de la Brénellerie)
(5) Archives municipales du Havre : Fonds Boivin-Colombel 49Z (1504-1958) Répertoire numérique détaillé par Lucile Peycéré, sous la direction de Pierre Beaumont, attaché de conservation du patrimoine
(6) Paul Gache dans son ouvrage sur "La Bussière" Source : Le château de La Bussière
(7) Archives privées source : Gaétan Ganzin
(8) Archives municipales : matrice cadastrale